COLLECTION ENCAUSTIQUE 2010/2013

100/100CM ET 130/97

L’enracinement dans la matière

Art encaustique

 

La peinture de Kat Pibol est un vaste champ des possibles où tout est en suspension, où l’éclatement de la bulle est l’écho du pétillement de l’humain dans le cosmos ; où la ramification de l’arbre dont la silhouette émerge de la cire est sœur des réseaux organiques et des trames de la pensée, où la trace brute résonne de vies antérieures, chuchotant leurs secrets préhistoriques à l’oreille de l’artiste. Correspondances baudelairiennes, rappelant que « la nature est un temple où de vivants piliers / laissent parfois sortir de confuses paroles ».

 

L’art fait défi des lois du temps et de l’espace. Kat Pibol tire son inspiration technique de pratiques très anciennes, recourant à la cire d’abeille et à la résine. Des objets d’art primitif montrent qu’il y a 4000 ans, on recouvrait le silex de pigments enchâssés dans un mélange de résine d’arbre et de cire. Bien plus tard, les Egyptiens n’avaient pas abandonné cette technique puisque les portraits du Fayoum, ces portraits funéraires retrouvés dans la plus ancienne région agricole de l’Egypte et réalisés entre le Ier et le IVème siècle de notre ère, étaient réalisés à la cire sur des plaquettes de bois insérées entre les bandelettes recouvrant les défunts. Reliée à toutes les époques, curieuse de toutes les techniques, Kat Pibol a puisé dans ce savoir ancien qui lui a permis d’élaborer et de pratiquer la peinture à l’encaustique. C’est une peinture qui reste fidèle au giron matériel et maternel que nous partageons tous : la terre, le trésor des abeilles, la résine du pin, des pigments issus de matières organiques (le bitume de Judée), animales (l’acide carminique de la cochenille) et minérales (toutes les gammes d’ocre). Ainsi la terre offre-t-elle ce qu’elle a de plus pur et de plus vivant. Et ce qui pouvait être voué à se fondre dans l’humus ou le fossile, reste présent, éclate de vie et de douceur familière.

 

Laissez-vous capter par l’œil des portraits de Fayoum, éternellement ouvert sur un temps aboli, captivant, palpitant, témoignage à jamais éloquent. Laissez-vous caresser par les camaïeux des oeuvres de Kat Pibol, approchez-vous de la matière et sentez-y le flux de l’énergie créatrice, comme un pouls chaud et originel faisant vibrer la toile. Car il s’agit bien, dans ces œuvres, de vibrations. L’énergie de la créativité coule de la source à la cire, et l’artiste est l’outil par lequel la transparence prend corps, l’atome à l’atome se rejoint. L’artiste est comme l’arbre du tableau éponyme, enracinée dans la matière matricielle qu’elle fait entrer dans l’esthétique, mais nourrie de transcendance tout autant que de la simplicité avec laquelle elle reçoit ce lien magnifique unissant le cosmos et le microcosme de la toile.

Touche par touche, jusqu’à former un ensemble cohérent, Kat Pibol fait entrer dans son œuvre tout ce que la nature a pu lui offrir, des archipels des Saintes aux sous-bois du Bessin, des couleurs crues des mondes ensoleillés aux textures moussues des arbres bienveillants. Et naturellement, évidemment, l’arbre nous murmure sa fraternité : comme lui, l’artiste profite d’un enracinement nourrissant, d’un équilibre naturel, d’une tension vers la lumière, d’une aisance presque enfantine à comprendre que le vide n’est pas, que tout est un, que l’art est une réponse.

La matière occupe l’espace, le vide se dévoile en plein, l’atome se donne à voir, l’acte créatif est une action de grâce. Il n’y a pas de hasard ; l’œuvre de Kat est une réponse possible à l’énigme de la création.

 

Nadia Sabbagh